dimanche 7 octobre 2012

Histoire de l'ADN (2ème partie) : le gène est la clé de l'hérédité !

La dernière fois, nous nous sommes arrêtés sur la découverte de la « nucléine ». Il est temps maintenant de continuer notre chemin sur le long parcours de l’histoire de l’ADN.
En 1909, un biologiste danois, du nom de Wilhelm Johannsen, effectue, 45 ans après Mendel, des recherches sur les caractères héréditaires des haricots. Il publie ses résultats dans le journal« The american naturalist ». Dans cet article, il arrive à la conclusion que la transmission des caractéristiques physiques, de génération en génération, est due à des petits éléments présents dans la cellule. Il décide alors de créer un nouveau mot pour les baptiser et les appelle« gène ».
Pourquoi avoir crée ce nouveau mot ? « Le langage n’est pas seulement notre serviteur, quand nous voulons exprimer nos pensées, mais il peut aussi être notre maître, nous écrasant par les notions attachés aux mots déjà existants. Les vieux mots sont souvent compromis par leur utilisation dans des théories dépassées ou erronées »explique-t-il dans son article. Il émet des hypothèses plutôt intéressantes de l’analyse de ses résultats, notamment le fait qu’un caractère pourrait être contrôlé par plusieurs gènes. Cependant, pour Johannsen, les gènes ne sont pas portés par les chromosomes, qui ont été découverts en 1882 (chromosome vient du grec et signifie corps coloré), et« aucun résultat ne permet d’émettre une hypothèse sur la nature des gènes ». Il conclut enfin son article « trop long pour son contenu réel, mais trop court pour l’importance du grand problème qu’est l’hérédité » par le fait que « l’hérédité peut être définie par la présence de gènes identiques entre les ancêtres et les descendants ».
Wilhelm Johannsen présentant ses résultats sur les haricots. Copyright California Institute of Technology

La nature de ces gènes a été découverte 35 ans plus tard. En 1944, Oswald Theodore Avery et ses collègues ont effectué une expérience qui a permis, pour la première fois, d’effectuer le lien entre ADN et gène. Au cours de cette expérience, ils ont utilisé deux types différents de bactéries pneumococcus :la souche R qui est inoffensive et la souche S qui provoque des pneumonies. Une expérience précédente avait montré que, lorsque l’on fait chauffer les bactéries S à 60°C, ces dernières deviennent inoffensives. Cependant quand on mélange ces bactéries inactives avec des bactéries R, ces dernières deviennent alors capables d’induire des pneumonies.
Avery s’est alors demandé ce qui pouvait changer la nature des bactéries. Il a récupéré une solution contenant les protéines, l’ADN et l’ARN des bactéries S, puis a mélangé cette solution avec des bactéries R. Ces dernières ont alors provoqué des pneumonies. Il a ensuite détruit les protéines, testé la nouvelle solution ARN-ADN, puis il a détruit les ARN et testé la solution d’ADN pur. Après analyse des résultats, il en conclut que l’ADN des bactéries S a donné la capacité de provoquer des pneumonies aux bactéries R (schéma).
Ce fut la première expérience qui montra le rôle essentiel de l’ADN dans la transmission héréditaire entre individus.
Suite et fin de l’aventure de l’ADN dans le prochain article !
Pour en savoir plus :
- Article original de W. Johannsen : http://www.jstor.org/stable/2455747?seq=2
- Animation sur l’expérience d’Avery : http://www.dnaftb.org/17/animation.html

dimanche 9 septembre 2012

Histoire de l’ADN : La première pierre !


Ces dernières semaines, le monde scientifique qui gravite autour de la génétique a été grandement secoué.

Tout d’abord, mi-août, des chercheurs d’Harvard ont réussi à copier un livre, de génétique, en ADN. Ce livre contenait 53 426 mots, 11 illustrations et 1 programme JAVA. Au lieu d’utiliser le système binaire informatique (1 0), les chercheurs ont utilisé pour coder ce livre le système quaternaire A, T, C et G de l’ADN. Ils ont alors synthétisé, de manière complètement artificielle, des morceaux d’ADN contenant des petits passages du livre. Ces morceaux, tous rassemblés, pesent environ 1 picogramme, soit 1 trillion de fois moins qu’un gramme !!! Ce système de stockage est donc devenu le plus sûr (pas de perte d’information avec le temps) et le plus compact de tous les systèmes déjà existants (disque dur, CD…).

Ensuite, les résultats obtenus par un projet, nommé ENCODE, ont été publiés.

ENCODE kézako ?  

Il s’agit d’un projet de grande envergure, commencé il y a 5 ans, et regroupant 440 chercheurs dans 32 laboratoires du monde entier. Ce consortium de scientifiques a réussi à annoter 80% du génome humain. L’annotation consiste à déterminer le rôle des différentes séquences du génome. Pour cela, ils ont effectué plus de 1500 expériences différentes sur plusieurs types de cellules. Un travail énorme !
Le livre entier est contenu dans ce petit tube...
Alors que le génome n’a presque plus de secret pour le scientifique, c’est le moment de faire un petit retour en arrière sur la découverte de l’ADN. Je vous propose donc une petite série d’articles sur l’histoire de l’ADN.

Friedrich Miescher, l’homme qui posa la première pierre

En 1869, Friedrich Miescher, brillant scientifique suisse, découvre ce qu’il appelle « la nucléine » (l’ADN d’aujourd’hui). Il l’isole, pour la première fois, à partir de leucocytes (globules blancs) puis retrouve cette molécule dans d’autres cellules telles que des cellules du rein, du foie, de levure, ou encore d’œuf de poule. « Un nouveau facteur a été découvert. Ce dernier semble être essentiel à la vie du plus basique au plus évolué des organismes » conclut-il dans une lettre adressée à ses proches.

Miescher se tourne ensuite vers l’analyse du sperme de saumon. Il remarque alors la présence d’une quantité importante de « nucléine » dans ces cellules. Dans une lettre adressée à son collègue Rudolf Boehm, il expose l’hypothèse qu’il a tiré de son observation : « Au bout du compte, j’ai l’intuition que « la nucléine » n’est pas uniquement utile pour la physiologie du sperme mais qu’elle joue un rôle beaucoup plus important »
1er tube contenant de l'ADN du sperme de saumon extrait par Miescher. © Alfons Renz, University of Tübingen, Germany.

Malheureusement, avec les connaissances scientifiques de l’époque, Miescher n’a pas réussi à concevoir que « la nucléine » puisse à elle seule expliquer la différence physique entre les individus et entre les différentes espèces animales. Il arrive donc à la conclusion, erronée, que le mouvement particulier du spermatozoïde ou « l’activation de l’ovocyte par une impulsion nerveuse, lui conférant des propriétés physiques et chimiques différentes » étaient responsables de l’hérédité.

En 1874, il publie un article dans lequel il accumule des preuves contre le fait que « la nucléine » est responsable de l’hérédité. Ceci entraîne la chute de nombreux autres scientifiques qui s’étaient concentrés sur cette molécule et avaient trouvés des résultats plutôt intéressants. La communauté scientifique entière perd alors la foi en l’ADN.

Comment les scientifiques sont revenus sur l’ADN ? Qui a utilisé pour la première fois le mot « gène » ? Comment ont-ils réussis à lier l’ADN et l’hérédité ? Suite au prochain épisode…

dimanche 19 août 2012

Et si le cancer permettait de guérir le cancer ?

Et si les dommages de l’ADN à l’origine des cancers, nous permettaient de soigner les cancers ? C’est ce à quoi ont réfléchi des équipes de l’institut de recherche contre le cancer Dana-Farber, à Harvard. Certes, l’idée peut paraître saugrenue, mais elle est très prometteuse.  L’article scientifique a été publié dans la revue Nature, jeudi dernier.

Dans notre ADN, nous avons des gènes dits « suppresseurs de tumeurs ». Dans de nombreux cancers, ces gènes sont bloqués ou carrément supprimés. Dans ce dernier cas, d’autres gènes se trouvant autour de ces « suppresseurs de tumeurs » peuvent également être dégradés : on parle de dommages collatéraux. Alors que la plupart des traitements anti-cancéreux actuels se focalisent sur ces gènes supprimés ou modifiés,  le professeur Muller s’est concentré sur « les dommages collatéraux pour identifier de nouvelles cibles thérapeutiques. » Pour cela, il a travaillé sur des cellules de glioblastome (type de tumeur du cerveau le plus létal) et s’est rendu compte que dans la plupart de ces cellules, le gène ENO1 était supprimé.

Le gène ENO1 se situe dans une zone où sont présents plusieurs gènes « suppresseurs de tumeur ».  Les gènes ENO permettent de produire une protéine (enolase) qui convertit le sucre en énergie, fonction essentielle pour les cellules cancéreuses. Il existe 2 autres gènes ENO (ENO2 et ENO3). Dans le cerveau, ENO1 (présent sur le 1er chromosome) est fortement exprimé tandis que le gène ENO2 (présent sur le chromosome 7) l’est plus faiblement.

La fonction de ces gènes étant essentielle pour la cellule cancéreuse, cette dernière peut supporter la perte d’un des 2 gènes mais pas des 2 en même temps. Etant donné que dans les cellules cancéreuses du glioblastome, le gène ENO1 n’est plus présent, on aura une très faible quantité de protéine enolase, produite uniquement par le gène ENO2 (cf figure 1).

Les chercheurs ont utilisé une drogue bloquant la protéine enolase (la PHAH). Ainsi les cellules cancéreuses (contenant peu d’enolase) ont été détruites tandis que les cellules saines, contenant une quantité plus importante d’enolase (produite par ENO1 et ENO2), n’ont pas été affectées par la drogue (cf figure 1).

La drogue PHAH ne peut pas être utilisée chez l’Homme car elle ne peut pas pénétrer correctement à l’intérieur de la tumeur pour tuer les cellules cancéreuses. D’autres drogues ayant le même effet sont en cours de développement.

« Ces délétions collatérales se retrouvent dans d’autres types de tumeurs et concernent des centaines de gènes différents. On peut donc penser que ce modèle de recherche peut être appliqué pour développer d’autres traitements personnalisés » concluent les auteurs.

Pour en savoir plus :

-          Article scientifique sur nature : http://www.nature.com.gate2.inist.fr/nature/journal/v488/n7411/full/488284a.html

-          Article dans sciencedaily : http://www.sciencedaily.com/releases/2012/08/120815131135.htm